Ohara. Un véritable cimetière depuis son bombardement par la marine. Tokoyami ne s’y était pour ainsi dire rendu qu’une fois auparavant, par simple curiosité vis à vis de la bibliothèque souterraine et des savoirs qu’elle pourrait renfermer. Sa venue fut une déception pour lui, qui estima n’avoir rien trouvé d’intéressant. Aussi raffiné pouvait-il être parfois, Ojin n’était pas un féru de lecture… et aucun savoir digne d’intérêt ne se trouvait dans les pages de ces ouvrages perdus.

Ainsi, que pouvait-il le faire revenir… si ce n’est une prime ? En effet, Ojin était sur la trace d’un pirate en fuite depuis plusieurs jours. Celui-ci était poursuivi pour différents vols et extorsions, suffisamment importantes pour faire monter considérément sa prime malgré le fait qu’il n’ait causé aucun tort physique à qui que ce soit. Ce qui expliquait d’ailleurs pourquoi le borgne comptait bien le capturer vif. Aussi amoral pouvait-il être, cela n’était pas son moyen le plus utilisé. Après tout, les criminels vifs rapportent toujours plus…

Le pirate, un certain Leonard B. Harper, avait réussi à échapper au chasseur une première fois et s’était rendu sur l’île spécifiquement en raison de son terrain désert. Sans doute pensait-il ainsi pouvoir se cacher plus efficacement… mais l’homme oubliait manifestement qu’il est plus aisé de se fondre dans la foule que dans le désert. Surtout pour un pisteur tel que lui.

“ Hum… “

Après avoir amarré sur les ruines d’Ohara, le jeune homme trouva rapidement des traces plus fraîches que les autres ainsi qu’une légère odeur de sueur persistante. Il est bien plus aisé de repérer la moindre odeur ou trace dans un lieu figé dans le temps depuis plusieurs années. Comme une tâche sur une toile blanche, la moindre chose inhabituelle se démarque considérablement du reste… et c’était justement ce dont avait besoin le chasseur de primes pour attraper sa cible.

Avançant de plus en plus profondément dans l'île, le chasseur de primes pu remarquer quelques traces supplémentaires dans la terre vierge de toutes traces, rendant la moindre activité visible au sol, figée dans la terre. S’il se savait suivit, cet homme n’était manifestement pas prudent… ou si pressé qu’il ne trouvait pas le temps de couvrir ses traces. Serait-il poursuivit par un autre chasseur ?

“ … “

Tokoyami obtint bien vite réponse. En effet, au détour d’un tas de gravats, sa cible semblait fuir quelqu’un… ou quelque chose. Quelque chose qui lui voulait du mal, et qui par conséquent menaçait de couper l’herbe sous le pied du borgne.

“ Halte. “

Dit-il en s’interposant, brandissant rapidement son sabre qu’il dégaina du fourreau caché dans son kimono. Peu importe qui était cet homme, il était un concurrent direct.

“ Je crains que sa prime ne me revienne… “

Ironique et affichant un léger rictus, le chasseur semblait prêt à se battre.

A bien y regarder, la personne se tenant en face de lui… n’était pas humaine. Ou du moins, pas totalement. Celle-ci s’apparentait davantage à une sorte de cyborg voire même de robot au vu de sa manière très mécanique d’agir. En effet celui-ci semblait mué dans un mutisme total et ignora presque totalement le borgne, préférant rouer sa cible de coups. Manifestement, il existait des chasseurs plus brutaux que lui… à moins que celui-ci ne fasse partie d’une toute autre organisation ?

“ Je vois bien que tu n’as pas de bouche, mais tu aurais pu faire un effort de communication tête d’enclume. “

Dit-il en approchant lentement, confiant… avant de prendre une brusque impulsion comblant rapidement la distance qui le séparait de l’être de métal, frappant d’un coup sec sur le poignet de la bête pour lui faire lâcher prise… avant que son arme ne heurte finalement un métal bien plus dur qu’il ne l’aurait imaginé. Le tintement, brutal, fit même vibrer sa lame.

“ … “

Malgré cela, la créature put tout de même sentir la puissance du coup porté par le chasseur de primes. Si le premier n’avait pas fait mouche, nul doute que sa force et le tranchant de sa lame seraient suffisants pour entailler sa protection… alors qu’il attendait simplement de lui qu’il lui laisse la prime. Chose qu’il ne comptait manifestement pas faire, pour l’un comme pour l’autre d’ailleurs.

N’attendant pas qu’il achève sa cible, Ojin effectua un mouvement plus audacieux en plaçant son fourreau comme pied de biche entre la main de la créature et le malheureux qu’il tenait, poussant vivement pour le forcer à relâcher avant d’enchaîner par un coup d’estoc directement vers son oeil droit. A priori, cette armure ne devrait pas le recouvrir ici aussi… il suffisait de tester.

S’il parvint à faire lâcher prise au colosse de fer, Tokoyami rata son coup destiné à l’éborgner. Profitant de ce court moment de flottement, le jeune homme frappa Leonard d’un coup de pied destiné à le faire reculer en l’éjectant de la portée de son adversaire. Non pas qu’il cherchait spécialement à le protéger, mais le ramener mort lui rapporterait hélas moins d’argent. Autant l’éviter.

“ … “

Adressant un sourire arrogant à son opposant, le jeune homme usa à nouveau de son fourreau pour dégager sa lame. En effet, celui-ci étant plus épais, le borgne força la créature à ouvrir davantage la bouche et ainsi dégager sa lame, qu’il cabossa entretemps d’un coup de poing. Son fourreau, lui, simplement fait de bois, explosa sur le coup. Il n’aurait plus qu’à le remplacer.

“ Affamé ? “

Dit-il en reculant d’un pas, remettant sa lame en place à l’aide de ses deux doigts. S’il n’avait sûrement pas la solidité de sa peau, le chasseur était néanmoins doté d’une force non négligeable… et son adversaire allait l’apprendre à ses dépens.

Soudain, l’homme de métal se mit enfin à parler. Comme s’il déversait tout ce qu’il n’avait pas dit précédemment, celui-ci alla vomir tout un tas de menaces sur le borgne qui se contentait de lui adresser un sourire amusé, fixant son adversaire de son seul oeil valide. Après tout, ce n’était pas la première ni la dernière fois qu’il se confrontait à des agents gouvernementaux… et il n’avait toujours aucune prime sur la tête.

“ Une prime sur ma tête ? Je me demande si je peux l’encaisser moi-même. “

Dit-il avec cynisme, ayant désormais la lame dégagée de l’emprise du colosse. Beaucoup d’options s’offraient à lui, parmis lesquelles se débarrasser purement et simplement de son ennemi.

“ Oh, on appelles papa ? “

Celui-ci, fixant la prime qui commençait à s’enfuir, ne partit pourtant pas à sa poursuite. Il ne pouvait pas aller bien loin sur cette île, autant se concentrer sur son combat et éliminer toute menace à l’avance histoire de s’assurer de l’encaisser sans trop de soucis.

“ Mon nom ? Allons. Nous savons tous les deux qu’il vaudrait mieux le garder secret… “

Ojin se mit en garde, attendant le prochain assaut. Cette fois-ci, ce ne serait pas à lui de faire le premier pas.

Rangeant son arme en la plaçant derrière sa ceinture de tissus, inhérente à tout kimono, le jeune homme grimaça légèrement. Une arme sans fourreau avait tout de suite moins d’esthétique, et d’efficacité puisqu’il avait pris l’habitude de combiner les deux en combat. Toujours était-il qu’il lui fallait réussir à s’extirper de la situation… tout en capturant le criminel.

“ Oh, je doute que tu aies les capacités de reproduire fidèlement la beauté de mon visage. “

Dit-il avec toujours autant de sarcasmes, prenant manifestement les menaces du métallique à la légère. Après tout, il était bien rare pour Ojin de se sentir en danger d’une quelconque manière. Ce monde était trop vaste pour que quiconque puisse l’attraper, si bien qu’il s’étonnait toujours d’arriver à capturer ses primes à chaque fois. Quelqu’un d’intelligent ne serait pas si facile à attraper dans ce vaste monde.

Finalement, ennuyé par les provocations incessantes et puériles du métallique, sans parler du fait qu’il ne semblait pas vouloir se risquer à l’attaquer, Ojin lui joua un petit tour, toujours aussi narquois. Il fit donc mine de saisir son sabre… pour finalement soulever le sable d’un coup de pied, envoyant un petit nuage de grains aux yeux de son adversaire.

“ Tu parles trop. “

Mais si l’on aurait pu croire à une tentative de le frapper en traître, Tokoyami fit totalement l’inverse en prenant ses jambes à son coup en direction de l’endroit ou était partie sa cible. Prime ou non, le jeune homme était certain du bluff de l’autre et comptait bien l’attraper avant lui. Et malheureusement pour lui, Ojin courait très vite. De quoi le distancer rapidement donc.

Ojin, rejoignant finalement les traces de sa cible qu’il avait pu suivre grâce à ses talents de pisteur, constata que celui-ci s’était déjà fait attraper par les coéquipiers de l’homme de fer. Ah, le travail d’équipe. Quelque chose dont il devait malheureusement se passer, étant un chasseur solitaire. Ce qui compliquait parfois les choses d’ailleurs, comme dans cette situation. Pourtant, aussi têtu semblait-il, Tokoyami décida d’abandonner l’idée de ramener la prime. L’autre disait sûrement vrai, puisqu’il faisait probablement partie de la marine ou du gouvernement… sans doute n’auraient-ils pas laissé de prime sur la tête d’une cible qu’ils avaient déjà dans le viseur justement pour éviter de se faire couper l’herbe sous le pied.

“ Hé, c’est pas lui le borgne dont parlait Steel ? “

Dit l’un des hommes en apercevant Tokoyami, dont le bandage couvrant l’oeil gauche ne laissait pas beaucoup de doutes. Quelque chose lui laissa croire qu’il était maintenant dans de beaux draps au vu de la manière dont les hommes réagirent, tenant en joue le chasseur de leurs armes. Trois hommes en tout, dont le capitaine à priori. Rien d’insurmontable.

“ Arrête toi ! “

Hurla le capitaine au chasseur en kimono qui continuait de courir vers eux. Comprenant qu’il ne le ferait pas, les trois hommes firent feu… malheureusement sans résultats. En effet, tournoyant son sabre devant lui à grande vitesse, le chasseur repoussa aisément les balles tout en réduisant l’écart entre eux à chaque pas. Les marines, comprenant que l’affrontement au contact serait inévitable, eurent tout juste le temps de sortir leurs sabres… que le premier fut assommé d’un coup de garde dans la tempe, tombant inerte au sol.

“ Messieurs, enchanté. “

Par chance pour eux, Ojin ne pouvait décemment pas gratuitement assassiner des représentants de l’état, ce qui le força à se contenter de les assommer à l’aide de son fourreau et de la poignée de son arme. Quelques passes d’armes ou ceux-ci purent comprendre l’écart de puissance suffirent à mettre K.O les deux restants, laissant alors le champ libre au jeune homme pour rejoindre sa barque… en laissant sa prime sur place. Tokoyami avait changé d’avis, comme à son habitude.

Ojin rejoignit sa barque, serein. Si les menaces de l’être de métal étaient sans doute sérieuses, le borgne s’en fichait bien et doutait qu’une prime puisse lui être attribuée pour si peu. Quand bien même pourrait-il être poursuivi, ce ne serait pas la première fois qu’il se retrouverait dans la panade et le jeune homme était toujours la. Sans aucune prime d’ailleurs.

Ainsi, prenant le large dans sa barque, Tokoyami rejoignit l’océan en direction d’une île un peu plus accueillante. Son ventre gargouillait, et sans l’argent de la prime, sans doute allait-il revoir ses exigences culinaires pour cette fois. Cette journé était décidément mauvaise….

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