Mary Celeste. Un gigantesque bateau de croisière traversant régulièrement les quatre blues pour un prix exorbitant. Partant de North blue, le navire continuait vers West en passant par south pour remonter à East et terminer son voyage à son point de départ. gé d’à peine dix ans, la gargantuesque forteresse -bien que dérisoire si comparée à des constructions comme thriller back- avait été bâtie par un milliardaire démagogue et était originellement destinée à lui servir d’habitat nomade. Hélas, lorsque ses distilleries eurent pris feu, détruisant alors sa plus grande source de revenus, l’homme avait sû tirer son épingle du jeu et reconvertir son navire en bateau de croisière, faisant payer le voyage à de fortunés clients pour pouvoir remonter la pente. Un véritable coup de maître.

Ainsi, le navire comportait assez de place pour accueillir environ 6 300 passagers. Les chambres, allant d’une à quatre personnes, s’avéraient spacieuses et offraient pour la plupart vue sur mer à travers les hublots. Les services, allant de la nourriture en chambre au massage en passant par une piscine jusqu’à plusieurs restaurants gastronomiques, s’avéraient tous de haut standing. En résumé, tout semblait et était fait pour déborder de luxe et d’argent.

Mais que pouvait bien donc faire un chasseur de primes, ces odieux personnages tous plus violents et avides les uns que les autres ? Bien qu’il ne manquait pas de prestance, surtout liée à cette aura tumultueuse et charmante qui l’entourait, Ojin ne renvoyait guère l’image d’un client raffiné. Vêtu d’un kimono traditionnel violet et surtout d’un bandage recouvrant son oeil gauche, celui-ci ressemblait davantage à un guerrier ou rônin qu’à un riche commercial pouvant se permettre une croisière sur le navire. A moins qu’il fasse partie du personnel ou invités ? Très peu pour lui. Tokoyami ne travaillait jamais pour personne et n’avait sûrement pas d’amis assez hauts placés lui permettant l’accès à ce genre d’endroits.

“ J’ai simplement fraudé. “

“ Pardon ? “

Demanda la serveuse qui venait de lui servir un Mojito.

“ Hum ? Qu’est-ce qui vous fait dire que je m’adressais à vous ? “

La jeune femme se retira, rouge de honte. Oui, le borgne avait fraudé. Il était si simple de falsifier un titre de transport et de s’inviter à bord. Chasseur de primes était loin d’être le synonyme d’honnête homme, et en tant qu’hédoniste, le jeune homme avait voulu en savoir plus à propos de cette fameuse croisière. Manifestement, sa réputation se valait largement. Dégustant un met hors de prix, Tokoyami essuya le coin de ses lèvres d’une serviette de velours, balayant du regard la grande salle de banquet. Celle-ci, bien que dotée de plusieurs instruments, ne voyait manifestement personne les utiliser. Le personnel aurait-il oublié d’engager un orchestre ? Ojin exécrait les repas se faisant dans le brouhaha ambiant et le tintement des couverts.

Ainsi, le jeune homme se redressa. Décidant de prendre les choses en mains de lui-même, celui-ci s’approcha d’un violon d’une facture manifestement supérieure et s’en empara pour composer son premier morceau. S’il était profane sur de nombreux aspects, le jeune homme n’ayant jamais appris à lire la musique ni à en jouer de la plus conventionnelle des manières, celui-ci était un véritable virtuose capable de reproduire aisément la moindre note entendue quelques secondes auparavant. Et en ouverture du bal, celui-ci décida de jouer un morceau mélancolique. Le meilleur moyen d’attirer l’attention d’une assemblée.

La mélodie fit rapidement son effet, calmant l’agitation du lieu pour instaurer une ambiance désormais plus calme. La salle, plongée dans une étrange transe contemplative, ne resta néanmoins pas bien longtemps dans cet état… puisqu’une autre musique, bien plus forte et percutante que celle du borgne, se mit à retentir sans crier garre dans toute la salle et même au dehors. Manifestement, quelqu’un cherchait à lui voler la vedette...

Un, deux ; l’eau n’est pas bleue.

Volatil, le gaz s’échappe du liquide doré.

Trois, quatre ; cruche d’albâtre.

La coupe en cristal brille au soleil.

Cinq, six ; … j’envoie chier les rimes.

Quel ennui.

THE BL00P est accoudé au bastingage, capuche dressée malgré le beau temps. Les rayons solaires donnent pleinement sur son « visage » LCD, qui chauffe comme il n’a jamais chauffé.

Le jour ne me réussit vraiment pas… 18h - 23h, quelle blague. Toute une semaine de soirée pour vieilles filles...

Il balance son verre par-dessus bord : l’objet se vide de son onéreux contenu, virevolte sur une dizaine de mètres, adopte une trajectoire en cloche - s’apprête à heurter la surface de l’eau…

Scratch.

… et se brise en vol quelques secondes avant de fendre l’écume.

Dans le cul du contribuable. Enfin… J’imagine ? Et dire que c’est le gouvernement qui a financé cette horreur de bateau.

The BL00P s’affale de nouveau sur la rambarde, lorsqu’un gloussement reconnaissable retentit derrière-lui : le cri de ralliement d’une espèce bien connue – et très appréciée – de volaille aux jambes interminables et à la croupe rebondie.

Comme un Paon répondant à l’appel de sa femelle, le cyborg se retourne et lance son regard le plus électrique en direction du troupeau de créatures paradisiaques qui s’impose à sa vue.

« Hey mais… ce serait pas… ? »

Objectif atteint. En plein dans le mille. Le gloussement se transforme en cris d’hystérie, et The BL00P est bientôt inondé d’une fanatique marée de jeunes femmes, qui jouent des coudes afin d’obtenir un authographe.

Ne répondant qu’à peine aux questions, faisant mine de n’être intéressé que par la musique et autres hobbys cryptiques, il leur tient un langage mystérieux de brun ténébreux : charisme de folie, la fête est partie – cédant finalement à la pression qui s’accumule autour de lui, balloté, peloté au gré des courants de mains et de poitrines, il accepte :

« Bon, bon… Pour des fans comme vous, je peux bien commencer un peu plus tôt… »

… Même si je suis pas payé à l’heure.

Faisant craquer ses articulations mécaniques, le cyborg s’installe à l’avant du pont supérieur, juste en face de l’énorme piscine : deux massives platines y ont été disposées, bardées de toute une armada d’impressionnantes enceintes dernier-cri.

J’ai pas l’habitude de mixer sur un set up aussi réduit, mais… Bah, ça devrait le faire…

« Attention vos mirettes, les minettes : ce soir, c’est double ration de son. Let’s. Fuckin. Go !»

SCRATCH !

Alors qu’il fait glisser sa main experte sur les platines, une gargantuesque onde sonore s’échappe de la scène et souffle les brushings de toutes les donzelles massées dans la piscine, la vidant au passage de la moitié de son contenu. La soirée est lancée…

Ça va donner.

Cessant de faire parler les cordes d’un instrument menaçant de se briser à tout instant, le jeune homme reposa le violon à sa place alors que la salle, mêlant surprise et intérêt, commençait à se vider pour rejoindre l’extérieur et le pont avant. Ojin, tout aussi curieux surtout envers ce style de musique exécrable qu’il n’avait jamais entendu auparavant et prenait comme une véritable agression auditive, sortit à son tour pour trouver le responsable de ce terrorisme musical.

“ … “

Se faufilant entre les spectateurs, principalement des filles en maillot de bains et autres groupies, le jeune homme comprit bien vite qu’il n’avait pas affaire au dernier des inconnus. Pourtant, son apparence, aussi improbable et unique fût-elle, ne lui rappelait rien. Ojin avait davantage l’impression d’être face à un homme en costume qu’à un véritable être vivant, sans doute était-ce sa marque de fabrique en tant qu’artiste. Quoi qu’il en soit, peu intéressé par le spectacle, le borgne s’empara d’un verre présent sur le plateau d’une serveuse avant de s’approcher du bastingage, observant l’eau située au moins 20 mètres plus bas.

Sirotant son martini, le jeune homme alluma ensuite sa pipe de bois et inhala la fumée, observant l’immensité de l’horizon se profiler à perte de vue. Outre le luxe, le simple paysage qui leur était offert valait largement le coup d’avoir fraudé une place à bord. Tokoyami étant perpétuellement à la recherche de nouvelles occupations, le chasseur s’était trouvé un bon moyen de passer le temps au moins durant quelques semaines le temps que le navire termine sa croisière.

“ Hm ? “

Mais alors qu’il posa son verre proche de lui, exhalant la fumée violacée du tabac qu’il était en train de fumer, le borgne remarqua quelque chose se profiler au loin. Un mouvement, une masse sombre sous la surface de l’océan… et celle-ci se dirigeait vers eux. En quelques secondes, la masse pris forme pour dévoiler d’épaisses nageoires dorsales faisant la taille d’un navire de la marine à elles-seules, menaçant ainsi de trancher le navire en deux au moindre contact.

“ … Un roi des mers. “

Se dit-il à lui-même, n’essayant même pas de prendre la peine de prévenir les autres avec le brouhaha causé par le DJ. Ainsi, la créature passa finalement sous le navire… et provoqua une violente secousse, faisant soudainement balloter l’embarcation de droite à gauche et créant un vent de panique inopiné à bord. Ojin, lui, se contenta de rattraper son verre avant qu’il ne tombe et goba son contenu, préférant ne rien perdre.

Sept, huit ; prêts pour la suite.

La « soirée » bat son plein malgré le jour encore jeune.

Neuf, dix ; c’est un délice.

Les décibels s’échappent de plus belle, se déversent dans l’atmosphère embrasée : la piscine brûle du feu de la passion des pisseuses volubiles qui s’y déhanchent, épanchent leur soif d’adrénaline dans ce cocktail explosif tels des poissons dans un bocal ballotant, que dis-je ; Branlant :

Car voilà qu’un ingrédient savoureux ajoute un relief inattendu à ce plat délicieux de rebondissements – lorsque le bateau manque de se retourner au passage d’un énorme sashimi, l’entrée se transforme en plat de résistance, et les cris ébahis de la foule en folie appellent à la suite du menu. Astuce du chef : la panique se transforme en euphorie lorsqu’échaudée, encore faut-il la remuer.

Merci, petit poisson. L’ambiance commençait vraiment à retomber. N’hésite pas à repasser…

THE BL00P en remet une couche : surenchère de déhanchés. Et lorsque les poissons sont fatigués, il faut les ferrer avant qu’ils ne quittent le banc…

La musique perd en intensité : peu à peu, la techno laisse place à la technique – le DJ vient de sortir un clairon de sous sa manche, et il entame une sereine sérénade passionnée.

« Mesdames et mesdames... Les festivités viennent seulement de commencer, et je souhaite vous ménager. C’est l’heure d’un petit slow, aussi foncez quérir ces âmes esseulées : qui sait quelles chorégraphies endiablées ils vous offriront dans le confort des cabines… Mais commencez par faire connaissance sur le tarmac : de grâce, dépêchez-vous, car on s’apprête à redécoller. »

À ces mots, une marée de jouvencelles se dispersa aussitôt sur tout le pont avant, parties en quête d’un partenaire gracieux et séduisant pour s’épauler dans l’épreuve de rythme et d’endurance qui s’annonce : 18h – 22h… Même pas en rêve.

Ce soir, c’est concert privé.

S’il s’attendait à un vent de panique, l’ambiance semblait au contraire battre son plein d’autant plus. Le DJ, tout excentrique était-il, avait visiblement réussi à remanier l’ambiance à sa guise, tirant de cette violente secousse un moyen de relancer les festivités avec plus de passion. Ojin, lui, se contenta d’observer la scène les bras croisés, parfaitement stable malgré la puissante secousse provoquée par le roi des mers dont la silhouette sous marine continuait à tourner autour du navire comme s’il voulait lui aussi profiter de l’ambiance endiablée. Il ne lui suffirait pourtant que d’un coup de nageoire pour les envoyer de par le fond…

“ … “

Mais alors que le singulier DJ sonna le début d’une ambiance plus tranquille, propice aux slow et jeux de séduction, Tokoyami décida de s’éclipser. Il en avait bien assez vu et ce navire recelait sans doute bien d’autres points d’intérêts susceptibles d’éveiller sa convoitise. Malheureusement, ce ne fut pas de l’avis de plusieurs jouvencelles éméchées qui vinrent lui agripper le bras.

“ Eh toi le beau gosse ! Attends ! “

“ Waaaah quel air mystérieux ! “

“ Laissez le moi, il y a bien assez de mecs pour vous toutes ! “

Rapidement, cinq ou six prétendantes s’étaient amassées autour du beau brun pour le supplier de prendre part à la danse. Il n’était pas étonnant de le voir se démarquer au vu de son physique avantageux, sans parler du katana qu’il portait à la ceinture laissant deviner son statut de guerrier. Et bien heureusement pour elles… Ojin n’était pas le dernier pour jouer les séducteurs.

“ Mesdemoiselles. Un vrai gentleman saurait vous satisfaire toutes à la fois. “

Dit-il en tendant la main vers le petit groupe, laissant chacune d’entre elles l’aggriper tandis qu’il plaça son katana contre le bastingage du navire, préférant ne pas être gêné pour ses pas de danse. En effet, adroit et grâcieux, le borgne parvint à danser avec chacune de ses partenaires sans en délaisser aucune, passant de l’une à l’autre avec une fluidité telle qu’il semblait reproduire un style de danse officiel. Rapidement, sa prestation fut remarquée si bien que nombreux furent à tenter de la reproduire, en vain, faute d’avoir assez de prétendantes pour cela. Tout le monde ne pouvait prétendre avoir le physique de l’éphèbe borgne.

Mais, alors que la fête battait son plein, le chasseur remarqua entre deux slows que son arme avait disparue. Balayant le pont du regard afin de voir si elle n’était pas tombée, le jeune homme du rapidement se rendre à l’évidence. Quelqu’un avait profité de la cohue environnante pour la lui dérober.

Quelque part sur l’énorme bateau, un homme ordinaire regarde la scène de près : son travail est simple, et il n’est pas du genre à décevoir un employeur. Payer si grassement une tâche aussi banale… Le boss doit être quelqu’un d’important. Raison de plus pour ne pas échouer.

Ne quittant pas des yeux le tumulte chorégraphié, l’opportunité qu’il attend depuis des heures se présente enfin : la cible s’est séparée de son Katana. L’occasion parfaite.

Profitant de son talent à la discrétion, ainsi que de l’ambiance enflammée que le DJ maintient sur la piste de danse, il fonce à travers la foule et s’empare du précieux trophée.

___

Retour aux platines

C’en est assez, cétacé… la pause s’impose.

« Alright my ladies… C’est l’heure de profiter du banquet. Nous allons marquer une courte pause – juste le temps que vous vous reposiez les gambas – et je serai de retour avant même que vous ayez cessé d’avoir des acouphènes. Bye Bye, Sayonara, Arrivederla ! »

THE BL00P s’enorgueillit des quelques soupirs de déception : il est toujours difficile de laisser une foule affamée à un pauvre buffet de crevettes à volonté – ce qu’elle veut, c’est du gros pois-son.

J’espère que cet abruti a bien fait ce que je lui ai demandé.

___

Cabine isolée

L’homme est assis sur le lit, nerveux. À côté de lui, l’escargophone de cabine est soigneusement décroché, comme on le lui a indiqué.

Il attend.

« J’espère que le boss sait ce qu’il fait. Parce que si ce type me trouve… Hein ? Qui est là ? »

En face de lui se tient le chasseur de prime.

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Cabine luxueuse

The BL00P se prélasse dans la salle de bain.

À côté de lui, un autre escargophone, décroché lui aussi.

Je vois que monsieur a trouvé…  

*Dans l’escargophone*

« B… Boss ? Il est là… »

Le Dj ne répond pas.

Voyons ce qu’il a à dire. Quel genre de groove anime ce gonze ?  

Derrière ce voile charmant qu’il lui arrive d’arborer se cache un être autrement plus scabreux. Précisément dans ce genre de cas ou, jouant de son manque d’attention, l’on se permet de lui dérober ce qui lui appartient. S’il n’était pourtant pas du genre à s’attacher à ses possessions en particulier, Ojin étant justement un hédoniste trouvant sans cesse de nouveaux intérêts dont il ne manque pas de se débarrasser ensuite, son katana s’avérait être un objet relativement spécial. Non pas qu’il fut un meito ou conçu d’une manière particulière, mais sa valeur sentimentale et signification comptait aux yeux du chasseur. Sa première prime avait été terrassée grâce à l’aide de cette arme… et le borgne ne l’avait plus quittée depuis. Ce n’était certainement pas aujourd’hui qu’il se résignerait à s’en séparer.

“ Mesdemoiselles, pardonnez moi… j’ai à faire. “

Dit-il en laissant derrière lui ses prétendantes ayant tout le loisir de se baffrer au buffet. En tant que pisteur hors pair, le borgne se devait de remonter jusqu’à ce voleur et de lui infliger un châtiment digne de ce nom. Peut-être même s’en sortirait-il sans trop de dégâts. Cela dépendrait de sa docilité… et de ses raisons. Son katana n’ayant d’apparence rien de spécial, Tokoyami se demandait bien ce qui pourrait pousser quelqu’un à le voler sur un rafiot rempli d’oeuvres bien plus coûteuses.

Ainsi, Ojin parvint à remonter la piste à l’aide du simple témoignages de clients ayant effectivement aperçu un homme doté d’un katana revenir de la fête. Regroupant peu à peu plusieurs témoignages le guidant jusqu’aux cabines inférieures, Ojin fit simplement le reste en humant son odeur depuis les portes. Car, le katana étant toujours sur lui, ce dernier étant imprégné d’une odeur de romarin particulièrement remarquable dans un tel environnement. Et cela ne manqua pas, le borgne concluant sur la cabine 42 qu’il ouvrit sans trop de dégâts, forçant simplement la poignée pour ne pas faire trop de vacarme.

“ … “

Ojin avait vu juste. Un homme, qu’il ne connaissait ni d’eve ni d’Adam, se tenait la, son katana posé à côté tandis qu’il semblait attendre près d’un den den mushi décroché. Si cette vision lui fit hausser un sourcil, le borgne compris rapidement dans quel genre de plans avait-il pu mettre les pieds lorsque l’inconnu s’adressa à un “boss” au travers de l’appareil.

“ Tout cela juste pour mon katana valant à peine 500 berrys ? C’est trop d’honneur. “

Dit-il en se rapprochant en quelques secondes du voleur, qu’il immobilisa sur le ventre. A sa simple manière de l’immobiliser d’une main, ce dernier se rendit rapidement compte du fossée qui les séparait. Ojin était de ces humains qu’il ne valait mieux pas contrarier au risque de se voir rapidement amoché, puisque doté de capacités transcendant la masse globale.

“ Je ne sais pas qui est au bout du fil… mais tu vas me le dire, n’est-ce pas ? “

En guise d’avertissement, le jeune homme se saisit d’une phalange de sa victime et la brisa d’une simple pression de l’index, provoquant diverses vociférations de la part du malheureux. Ojin, stoïque, lui donna trois petites claques sur la joue.

“ Les riches ont besoin de repos, toutes les cabines sont insonorisées. Alors, qui va parler en premier ? Toi… ou la personne au bout du fil ? “

Dit-il en parlant en direction du téléphone, attendant des explications ou au moins un nom de son interlocuteur fantôme… a moins que tout ceci ne soit qu’une mise en scène ? Dans tous les cas, le chasseur se tenait prêt à passer à la seconde phalange.

Il y a bien longtemps que le jeune DJ n’a pas eu l’occasion de pratiquer ce genre de plaisanteries : son enfance est derrière lui, d’autant qu’il a désormais l’habitude de passer par des intermédiaire – quelle que soit la nature de ses activités.

C’est donc avec un certain enthousiasme qu’il modifie sa voix – de manière bien plus experte que jadis, les implants vocaux aidant beaucoup – afin de s’adresser à l’homme qui se trouve à l’autre bout du fil. Lorsqu’il parle, sa voix râpeuse sonne comme celle d’un rappeur ayant trop rappé – ou bien fumé le joint de trop.

« Inutile de tourmenter cette pauvre âme, mon ami. Il ne sait rien qui puisse vous intéresser. Moi, en revanche… »

Cette manœuvre est risquée, mais nécessaire : quelque chose approche à l’horizon, et il sait que cet homme pourrait l’aider.

« Je détiens quelques informations à votre sujet qui m’amènent à penser que vous êtes le candidat idéal pour… Un travail. Oh, par ailleurs : je sais que vous êtes quelqu'un de perspicace. Je sais aussi que vous avez du flair... Mais je me vois dans l'obligation de vous prévenir que, deviez-vous d'aventure essayer de remonter cette ligne, vous n'y arriveriez pas ni n'en tirerez aucun bénéfice... Bien au contraire. »

Une formalité.

« Bien, si cela est clair, nous allons pouvoir discuter sérieusement. Après tout, vous n'imaginez sûrement pas que j'ai organisé cette petite mise en scène juste pour vous jouer un mauvais tour... Non : je suis porteur d'un message, une proposition. »

Il en faudra probablement plus pour convaincre cet homme, qui, de réputation, n’est pas le dernier des abrutis – bien qu’il se soit assez récemment montré un peu trop… imprudent.

« Premièrement, je tiens à vous assurer que ceci n’est en aucun cas une manœuvre de chantage. Acceptez, refusez, le choix est votre. Voyez plutôt ça comme... un marché. »

L’heure tourne, et il faut désormais s’assurer que l’homme au bout du fil est disposé à écouter… sinon quoi l’attention changera de cible.

« Êtes-vous disposé à en discuter, Tokoyami Ojin ? »

La mention de son nom devrait probablement réveiller chez lui un quelconque intérêt.

Petit poisson est-il un requin en quête de sang frais, ou une méduse qui se contente de flotter au gré du courant ?

Finalement, une voix s’éleva à l’autre bout du fil. Une voix légèrement rocailleuse, sans qu’il puisse se faire beaucoup d’autres conclusions. Ainsi, gardant une partie de son emprise sur le malheureux, le jeune homme s’adressa à son mystérieux interlocuteur dans le combiné. Que celui à l’autre bout du fil sache à qui il s’adressait sans que ce soit son cas le mettait dans une position relativement désagréable. Tokoyami était venu ici pour passer du bon temps, pas pour tomber dans des entourloupes douteuses.

“ Drôle de manière de faire passer une proposition. “

Sa voix, grave et monocorde, résonnant dans le combiné avec stoïcisme. Il y avait de bien meilleures méthodes, qui sait comment aurait-il pu réagir ? D’autres auraient pu créer un scandale, baisser les bras ou toute autre chose rendant le plan caduc.

“ Cessez donc de me brosser dans le sens du poil et dites moi de quoi il en retourne. “

Dit-il en s’installant finalement proche du combiné, relâchant le malheureux tout en le gardant à l’oeil, signifiant qu’il ne le laisserait pas s’échapper si facilement. Tant que la proposition de son mystérieux interlocuteur ne serait pas claire et précise, aucune chance qu’il ne laisse filer son seul élément aussi facilement. Ojin restait quelqu’un de pragmatique malgré qu’il ait pu se retrouver dans une telle situation. Même lui n’aurait pas pu prévoir de tomber dans une telle histoire après un simple vol de katana.

“ Un chasseur de primes ne refuse jamais un boulot, vous le savez sans doute. “

Souriant depuis l’autre bout du combiné, le jeune homme se saisit de la pipe en bois qu’il rangeait à l’intérieur de son kimono et l’alluma pour en fumer le contenu, patient. A priori, si tout ceci n’était pas un piège, au moins aurait-ce le mérite d’être intéressant. Cette étrange voix était parvenue à capter toute son attention.

Dehors, l’ambiance commence à se réchauffer, et la température semble augmenter malgré la tombée de la nuit. Plusieurs plaisanciers se sont déjà attroupés sur et autour de la piste, remuant vaguement leurs derrières au rythme de la playlist de transition. Beaucoup d’entre eux se sont ramollis : l’effet flagrant du buffet se lit sur leurs faciès bouffis.

Les ploucs de ce rafiots sont décidément une belle bande de...

Son train de pensée est interrompu : déjà, l’attention est portée sur lui, et une nuée de regards avides l’encercle. Devant l’estrade, la piscine est désormais couverte, ajoutant de la surface à la piste.

De sangsues. Moi qui pensait qu’elles ne vivaient qu’en eaux douces…

Il se réinstalle aux platines.

Vous voulez du sang ? Voilà du son.

*BOP !*

Toute l’assemblée est secouée par l’onde sonore.

La foule est en délire.

La soirée reprend.

Fumant sa pipe, le jeune homme raccrocha à son tour sans s’attarder sur ses paroles. Il n’y avait plus qu’à attendre et cette musique sur le pont lui tapait sur le système, convaincant alors le borgne de rester en cabine jusqu’à la prochaine escale qui aurait lieu au petit matin. Ainsi, récupérant le billet proposé par l’homme qu’il tenait plus ou moins en otage, le chasseur le laissa ensuite partir sans plus attendre. Cette cabine était désormais à lui.

Décidant d’y passer la nuit, le borgne ferma la porte à double tour et ouvrit légèrement le hublot situé au mur pour en évacuer la fumée produite par sa pipe. La pièce, relativement petite, disposait néanmoins d’un grand lit et de quelques livres au mur lui permettant de passer le temps avant de trouver le sommeil. Le jeune homme, jetant son dévolu sur un recueil de poésies antiques, s’installa contre le matelas afin d’y passer la nuit. Celle-ci venait tout juste de tomber, lui laissant alors une bonne marge avant le petit matin.

…

Les premières lueurs du jour vinrent poindre au travers du hublot de la cabine. Ojin, ouvrant l’oeil avec difficulté, enleva le livre qui lui recouvrait le visage et s’étira longuement, craquant les cartilages de son corps. S’il s’était endormi inopinément et donc dans une mauvaise position, le chasseur avait néanmoins profité des bienfaits d’une nuit réparatrice. Et alors qu’il se rendit sur le pont, l’homme en kimono put voir la terre approcher au loin. Tout semblait bien s’enchaîner, ne restait plus qu’à attendre le petit détail, l’anomalie dans l’engrenage qui ferait tout sauter… car tout était bien trop beau pour être vrai.

“ … “

Finalement, une fois le navire ayant accosté sur l’île qui s’avérait être Honey Gold, le jeune homme jeta son dévolu sur l’auberge la plus éloignée de la capitale dans un soucis de tranquilité et de discrétion. Après tout, son contact avait dit qu’il serait trouvé dans tous les cas. Mais alors que le temps passait, un doute naquit dans l’esprit du borgne. Quelque part, le jeune homme se demandait si cette voix au bout du fil ne serait pas celle de la personne qui allait justement se rendre au rendez-vous pour lui faire face.

Quoi qu’il en fut, assis à la table située dans le coin droit du rez-de-chaussée de l’auberge de la grande salance, le jeune homme attendit. Avec un verre, ses pensées et un nouvel objectif en tête, le temps n’était pas un problème.