Le royaume des fleurs. Un lieu ô combien prisé par le vicieux Ōjin , qui appréciait tout particulièrement s’y rendre depuis plusieurs années afin d’y récolter des fleurs nécessaires à ses confections de thé. Jasmin, bleuet, oranger, tout était bon dans une tasse. Et cette île, comme son nom l’indiquait, restait la meilleure pour se procurer ce dont il avait besoin. S’il restait plus adepte des petites îles reculées et tranquilles pour y passer son temps libre, force était d’admettre que la vie finissait par y être bien ennuyeuse. Ōjin étant un grand hédoniste, il lui fallait pouvoir embrasser chaque opportunité que lui offrirait chaque territoire.

La raison de sa présence ici s’expliquait donc de par ce biais. Le printemps, saison florissante, était d’ailleurs des plus idéales pour lui permettre d’y trouver son bonheur, prévoyant bien entendu de se servir à la source et non pas d’acheter des fleurs chez un quelconque marchand. Pourquoi dépenser son argent durement gagné lorsqu’il est possible de le conserver sans guère plus d’efforts ? Les gens sont si fainéants de nos jours…

“ … “

Ainsi, Ōjin accosta sur un rivage isolé. A vrai dire, ses visites annuelles étaient toujours motivées par la cueillette et afin d’éviter tous problèmes, le chasseur se contentait d’arriver en douce sur les endroits les moins fréquentés de l’île. Non pas qu’il fut d’un naturel craintif, l’hédoniste appréciait simplement se simplifier la vie et éviter tous ennuis. Qu’il est barbant de devoir rendre des comptes…

Le soleil vint à peine à poindre à l’aube. Le chasseur -converti en cueillir l’espace d’une journée- appréciait tout particulièrement naviguer de nuit et s’y prendre si tôt lui conférait davantage de discrétion. La zone choisie semblait d’ailleurs propice, celle-ci étant située manifestement à des lieues de la première ville ou du premier village. Ne s’étendaient à perte de vue que des fleurs de tous types, certaines mêmes qu’il n’était pas capable de reconnaître malgré ses grandes connaissances florales. La vie est après tout un perpétuel apprentissage.

“ Hmmm… “

Humant la première pétale qu’il vint cueillir au sol, le jeune homme s’imprégna des effluves chocolatées de cette fleur cacao. Un petit bijou très apprécié de tous, surtout utilisé pour les pâtisseries bien qu’il restait capable de s’en servir pour relever le goût de certains de ses thés les plus amers. Chaque fleur a sa place et les plus doués sauront toujours leur trouver une utilité.

Continuant alors sa cueillette sans guère accorder d’attention à ce qui l’entourait, le jeune homme accumula plusieurs fleurs différentes. Dorées, rouges, petites, grandes, odorantes ou inodores, chacune avait sa spécificité et sa valeur. En revanche, son attention fut si focalisée sur la cueillette qu’il n’entendit pas tout de suite un intrus approcher en dépit de ses facultés de pisteur toujours à l’affût. Ce ne fut que lorsqu’il pu percevoir un léger craquement non loin qu’il releva la tête pour tomber sur une femme. Un civil isolé ? Cela pourrait être pire.

“ Oh… bonjour. “

Retrouvant rapidement son sourire teinté de malice, le chasseur réajusta son bandeau en guise de cache oeil. C’était bien la première fois qu’il croisait quelqu’un ici.

“ Seriez-vous venue apprécier la beauté du paysage ? “

Demanda t-il de ce ton flegmatique si particulier qui le définissait. Une voix très calme et posée, frôlant même la suavité du miel sans pour autant tomber dans la caricature d’un don juan en herbe.

L’apparence de ce qui semblait être une jeune femme se dévoila à lui. Ojin, insondable, resta parfaitement stoïque sans toutefois perdre ce léger rictus qui lui pendait à la commissure des lèvres. S’il était aisé de lui trouver une certaine aura, il en fut de même pour elle. Quelque chose de morne s’en dégageait, comme une solitude absolue et désirée. Sans doute ne risquait-elle pas de lui tenir rigueur de sa cueillette de fleurs, de toute manière il ne serait pas difficile de se débarrasser d’un unique témoin.

“ … “

La voix de la jeune femme l’interpella également. Celle-ci semblait toutefois en parfait accord avec son physique et l’aura qu’elle dégageait, bien qu’elle soit presque plus rauque que la sienne. Comme si un passé douloureux se traduisait au travers de cette voix cassée, la métaphore serait ainsi d’autant plus forte. Mais, plutôt que de se perdre en analyses infécondes, l’homme en kimono repris sa besogne en s’attardant tout particulièrement sur une fleur aux pétales semblables à des flammes figées.

“ Ojin. “

Répondit-il à la question convenue mais toutefois bienvenue de la jeune femme.

“ Tokoyami Ojin. Enchanté… Yubel. “

Si son nom ne lui disait rien, celui d’Ojin pourrait évoquer un chasseur de primes relativement connu à West blue et les mers environnantes. Un chasseur de primes aussi mystérieux qu’efficace, ses penchants douteux n’étant bien entendu pas connus publiquement. La seule chose que l’on pourrait ainsi retenir de lui serait son efficacité… et les moyens radicaux qu’il employait, confortant donc aisément la réputation presque criminelle collant à la peau des chasseurs de prime, agissant pourtant pour le camp de la loi. Des lois très flexibles entre les mains du chasseur de primes…

Ainsi, continuant d’amasser ses fleurs alors que l’horizon se dégageait à mesure que le soleil s’élevait, le borgne s’arrêta un instant lorsqu’il remarqua que la jeune femme s’était plongée dans ce qui semblait être un dessin, au vu des mouvements de son poignet. La perspicacité du chasseur n’étant plus à prouver, celui-ci lui demanda alors toujours de ce même flegme.

“ Que dessines-tu ? “

Tout portait à croire qu’il s’agissait bien de lui au vu de la manière dont elle le regardait. C’était bien la première fois que l’on agissait ainsi à son encontre, la plupart des gens préférant l’éviter ou au contraire chercher à en savoir plus… de manière relativement explicite. Après tout, qui résisterait aux sourires charmeurs d’un homme ayant tant de choses à raconter ?

“ Je peux prendre la pose. “

Dit-il, avenant, en se redressant finalement. Ojin se prêterait bien au jeu...

Se souvenir de ses traits ? Voila une bien étrange justification. Il n’était pourtant pas rare de se souvenir de lui, entre le cache oeil et le kimono en passant par cet air énigmatique qu’il affichait continuellement. Manifestement, la jeune femme n’était pas comme tout le monde. Tout comme lui, au moins pourraient-ils trouver une accointance de ce côté la. Après tout, les incompris et solitaires peuvent au moins se comprendre l’un l’autre… en théorie. Ojin n’était pas certain que quiconque puisse le comprendre, et les choses lui allaient très bien ainsi à vrai dire.

“ Intéressant. Prétendez-vous que je sois oubliable ? “

Demanda t-il avec ironie, bien que ce sourire énigmatique rendait chacune de ses phrases aussi cryptiques que lui. Si son but n’était pas de l’effrayer, il lui arrivait de s’amuser de l’ambiguïté de ses phrases pour observer les réactions de ses interlocuteurs. Et elle ne dérogeait pas à la règle.

Ainsi, lorsqu’elle déclina sa proposition, le chasseur retourna à sa besogne sans insister. Après tout, il restait beaucoup de fleurs à cueillir et bien qu’il fasse attention à varier les plaisirs, son bouquet grandissait. Sans doute allait-il devoir amener un sac l’année prochaine, lui qui se contentait bien souvent d’une dizaine de fleurs. Ce printemps s’avérait plus généreux que les précédents.

“ … “

Le jeune homme tiqua à la question de son interlocutrice. Guerrier, chasseur, voleur ? Ojin était de ces trois la. Combattant depuis une dizaine d’années, chassant ses primes, volant parfois ce qu’il convoitait… mais il serait bien déshonorant que de se qualifier comme un vulgaire voleur. Après tout, il lui arrivait d’adopter des comportements que lui-même méprisait chez autrui. Que voulez-vous. On ne se refait pas.

“ Un voleur ? Je doute que ce genre d’individus s’adonnent à la cueillette. “

Dit-il en continuant sa besogne, cherchant désormais des fleurs bleues. Les plus rares. Cette couleur n’est pas la plus rare à l’état naturelle pour rien.

“ Je suis un chasseur de primes. Beaucoup de rumeurs néfastes courent à notre sujet… mais je ne suis qu’un agent de l’état en fin de compte. Indirectement, certes. “

La même malice teintait ses paroles. Un agent de l’état ? Ojin aurait sûrement réfuté cette appellation en venant d’autrui. Mais il faut parfois savoir jouer avec les mots et faire profil bas. Après tout, le chasseur n’avait aucune raison de faire de vagues ou de vanter ses méfaits en l’instant. Surtout si elle comptait, d’après ses dires, écrire des histoires… qui pourraient bien être lues.

Ainsi, posant machinalement la main sur la poignée du katana qu’il portait à la ceinture, le chasseur se redressa finalement après avoir jugé sa cueillette satisfaisante. S’il serait simplement reparti à la suite en ayant terminé son travail, la discussion qu’il tenait avec la jeune femme avait le mérite d’éveiller son intérêt… pour l’instant tout du moins.

“ Vos histoires ? Dites m’en plus. J’en connais beaucoup moi aussi, malheureusement elles sont toutes bien vraies. “

Dit-il, sous entendant qu’elles n’appartenaient guère au plus joyeux des registres.

Une réponse digne d’une romancière. Cette femme ne devait certainement voir le monde qu’au travers d’un prisme précis inhérent à ses passions. Si cela avait le mérite d’être intéressant, Tokoyami se lassait rapidement de ces gens étriqués. Après tout, le jeune homme n’était pas d’accord. A ses yeux, une personne atrocement banale pourrait bien s’avérer inoubliable aux yeux d’une autre. Ce ne sont pas les actes envers la masse qui comptent, mais bien ceux qui se répercutent individuellement sur chacun. Ojin avait bien plus été marqué par la personne l’ayant éborgné que par l’amiral Sengoku.

“ Je dois être un bien piètre héros dans ce cas. “

Dit-il avec cynisme plutôt que de développer sa pensée à quelqu’un qui ne serait pas apte à la comprendre. Après tout, Ojin n’avait rien d’un héros bien que la mode des antihéros était de plus en plus courante dans les récits épiques. Malheureusement, le chasseur qu’il était serait sûrement l’antagoniste… poste qui ne lui déplairait peut-être pas. Les antagonistes sont toujours les personnages ayant les meilleures motivations.

Ainsi, regroupant ses fleurs en un bouquet relié par une ficelle, le chasseur le rangea dans son kimono violet. Espérons qu’elles ne soient pas trop compressées, Tokoyami avait besoin de fleurs en bon état pour son thé… mais les moyens du bord sont ce qu’ils sont.

“ On peut dire ça. Les pirates et les révolutionnaires principalement. Pour d’autres, ce sont eux les héros. “

Dit-il, soulevant ainsi l’ironie et la vacuité du manichéisme de la jeune femme. Ojin se demandait bien comment pourrait-elle le qualifier s’il lui dévoilait toutes les exactions dont il était coupable en faisant pourtant partie du camp du “bien” mais se retint bien de lui en faire part. Il fallait bien garder un certain voile de mystère… au risque de devoir en payer les conséquences un jour.

La jeune femme lui avoua ensuite être écrivain. En vérité, cela lui était apparu évident bien vite. Pourtant, quelque chose contrastait dans son discours si bien qu’il en déduisit qu’elle était sûrement débutante… a moins qu’elle ait grandi dans de drôles de conditions.

“ Je ne connais pas. “

Avoua t-il simplement à sa question. Ojin n’était pas un grand lecteur, ne retirant aucun plaisir à lire des lignes fixes. Sans doute était-ce un problème d’imagination trop terre à terre, ou tout simplement trouvait-il un million de choses plus intéressantes à faire. Le borgne avait trop d’idées dans lesquelles injecter son temps pour perdre du temps avec des livres.

Pourtant, lorsqu’elle lui tendit ce qui semblait être l’un de ses ouvrages, Ojin l’accepta sans broncher. A priori… difficile de refuser. Même lui pouvait se montrer avenant et civilisé, surtout qu’il ne faisait jamais le mal sans qu’il y ait de raisons à la clé. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il puisse trouver du temps libre afin de s’enquérir du contenu de ce livre.

“ Je le lirais… si le temps me le permet. “

Dit-il en saisissant l’ouvrage de ses doigts, jetant un rapide coup d’oeil à la couverture minimaliste. Manifestement, pas grand chose de parlant sans lire directement le contenu de l’ouvrage. Au vu de ce qu’il avait pu voir de la mentalité de la jeune femme, Tokoyami se faisait déjà une idée du style d’histoires qu’elle pouvait écrire habituellement.

“ Mes histoires ? Je crains qu’elles soient dénuées d’héroïsme et de légendes… je ne fais pas partie des plus grands de ce monde, les combats que je mène ne sont pas des plus incroyables. “

Dit-il avec fausse modestie. Ojin n’avait surtout pas spécialement envie de faire connaître son vécu au monde au cas ou les ouvrages de la jeune écrivaine deviennent un jour connus. Ainsi, il se servit une fois de plus de son oeil pour raconter une de ses histoires étriquées.

“ Une fois, je suis tombé sur un kangourou. C’était un samouraï… un véritable Kangouraï en réalité. Je ne sais pas si tu en as déjà entendu parler, ce sont de redoutables combattants. J’y ai laissé mon oeil au cours d’un terrible combat ou j’ai finalement pu triompher. “

Pas de piètre héros ? Le jeune homme laissa croître un léger rictus. Elle disait sans doute vrai. Un héros est un héros dans tous les cas… aux yeux des autres. Car dans son grand pragmatisme, Ojin préférait ne pas parler de manière absolue. Lui n’avait jamais considéré personne comme des héros. Des gens capables, peut-être… des génies, au mieux. Mais l'appellation héros avait une connotation trop mythique pour coller à un homme. Du moins, du point de vue étriqué d’Ojin.

“ Je vous en prie. “

La jeune femme semblait réellement emballée à l’idée qu’il le lise. Cependant, une question lui trottait en tête. Non pas qu’il soit des plus attentionnés, mais le chasseur avait besoin de savoir.

“ Ce n’est tout de même pas votre seul exemplaire ? “

Si c’était le cas, le lui remettre serait sans doute un grand gâchis. Autant donner ce livre à un passionné de lecture ou un critique reconnu plutôt qu’à l’homme qu’il était. Un homme pouvant tout aussi bien le jeter à l’eau en le trouvant un peu trop ennuyeux.

En l’entendant rire, le jeune homme s’en amusa lui-même bien que rien ne changea drastiquement du sourire qu’il affichait. Après tout, cette histoire était inventée de toutes pièces et bien qu’il puisse sûrement exister une bizarrerie du genre sur une des nombreuses îles peuplant le monde, lui non plus n’avait jamais vu de Kangouraï… bien que cette idée trouvée sur le tas le rendit perplexe.

“ Ce monde n’est-il pas lui-même incongru ? “

Parfois, Ojin avait le sentiment que chaque île était un monde à part entière, répondant à des lois et phénomènes isolés propres à chacun. Il pouvait être si dépaysant de voyager que le jeune homme en venait à douter que le hasard puisse être à l’origine de tant de diversité. Qui savait ce que renfermait grand line et le monde au delà…

“ Moi de même, mademoiselle Yubel. “

Dit-il, avenant, avant d’approcher. Ojin connaissait un peu l’île mais peinerait bien à lui indiquer son chemin par les mots.

“ Me laisseriez-vous vous accompagner ? Je connais certains endroits mais ce royaume est si vaste… “

A voir si la jeune femme pouvait aller au dela de cette facade renfermée et solitaire qu’elle affichait, et qu’Ojin avait deviné à sa simple apparence.

Ojin afficha un léger rictus à l’entente de sa réponse. Evidemment. Plus le temps passait, plus la vision étriquée de son interlocutrice se dévoilait à lui. Bien qu’il restait relativement cynique vis à vis du monde qui l’entourait et particulièrement les gens, le chasseur savait se tenir et n’avait apparemment aucune raison de mettre son opinion en pleine face de la jeune femme. Du moins, pas aussi crûment qu’il ne se le représentait en tête…

“ Mais les histoires ont justement pour vocation de nous transporter ailleurs. De nous faire vivre autre chose. C’est l’opposé du monde. “

Expliqua t-il en allumant sa longue pipe de bois, qu’il plaça entre ses lèvres. Une légère odeur de romarin s’éleva dans l’air, manifestement ce tabac n’était pas le même que l’on pouvait trouver un peu partout. En vérité, il s’avérait même très agréable en bouche… mais tout aussi nocif que les autres. Ojin ne savait même plus d’ou lui venait cette manie.

Ainsi, se mettant en route en traversant les champs de fleurs, la vallée se dévoilait sous le soleil désormais haut dans le ciel. Un soleil qui avait bien bougé depuis leur petite entrevue, à croire que le temps était passé plus vite qu’il ne l’aurait cru.

“ Non. Je viens d’une petite île plus loin, totalement anecdotique. “

Ce n’était pas totalement faux, ni totalement vrai. L’île du thé n’avait rien d’anecdotique mais personne n’était au courant de son existence. La question de la jeune femme en souleva d’ailleurs naturellement une autre, Tokoyami étant de nature curieuse vis à vis des gens capables d’attrier son intérêt. Et la jeune femme avait ce petit quelque chose, cette aura particulière la faisant sortir de la norme.

“ Et vous ? Je me doute que vous n’êtes pas d’ici. “

Dit-il en atteignant finalement la ville au côtés de la jeune femme. Si son teint moribond et sa manière de raser les murs n’inspirait confiance à personne, le cache oeil et le sourire presque vicieux affiché par le chasseur de primes aidait encore moins à leur attirer la moindre sympathie. En effet, les citoyens semblaient les éviter consciemment. Lui qui arrivait pourtant à être parfaitement charmant…

“ Les cloportes n’ont pas l’habitude de croiser des papillons, voilà tout. “

Dit-il de cette cynique métaphore, s’arrêtant finalement devant un petit bâtiment de pierre relativement rustique face à la mer. Les fenêtres du rez de chaussée laissaient voir ce qui semblait être un accueil, l’endroit ayant tout l’air d’être un hotel.

“ Il y a cet hotel, les chambres sont à bas prix. A moins que vous ne préféreriez une auberge ? “

Proposa t-il en exhalant la fumée de sa pipe.